Deux poids, deux mesures

Mon cher frère,

J’ai reçu ta lettre il y a quelques jours, mais j’ai été très occupé et je n’ai pas eu le temps de te répondre jusqu’à présent. J’ai été heureux de lire que la maladie de ton fils est guérie et que ta fille a réussi son récital à l’école. Je crois vraiment qu’elle a beaucoup de potentiel. Quant à Papa et Maman, j’espère qu’ils ne sont pas trop déçus par ma décision de venir ici pour aider à établir la colonie. Je sais que toi, tu comprends ma décision, et même si je sais que sa mère a encore du mal à l’accepter, j’espère que tu aideras mon fils à la comprendre aussi, surtout si les conditions ici ne me permettent pas de rentrer à la maison. Tout ce que je peux dire, c’est que je fais ça pour quelque chose en quoi je crois fermement, quelque chose de plus grand que moi ou que cette famille. C’est pour la race entière et pour la planète entière.

Oui, je partage tes inquiétudes, et j’ai suivi les nouvelles assez attentivement de toute façon. S’il y a un truc ici dont on ne manque pas, ce sont les télécommunications. On a accès aux nouvelles de chez nous en quelques heures, et les patrons s’assurent qu’on les reçoive, donc je suis capable de suivre ce qui se passe. C’est un petit avantage, comparé aux difficultés que nous devons supporter, mais cela nous aide beaucoup. On se sent très seuls ici, et recevoir ces nouvelles et ces messages de chez nous tous les jours aide vraiment à briser la solitude et à nous réchauffer le cœur. Et ça, ce n’est pas rien, étant donné les températures horribles que nous devons affronter ici.

Quoi qu’il en soit, je m’écarte du sujet. Oui, je dois te dire qu’à la lumière de ce qui se passe, je suis encore assez heureux d’avoir déménagé ici, même s’il fait beaucoup plus froid ici et que la vie est assez dure. Je suis d’accord avec toi, il y a quelque chose d’un peu menaçant dans l’arrivée de ces immigrants clandestins au sein de la communauté. Cependant, ayant également capté quelques émissions venant de l’autre côté de la frontière, je dois dire que c’est encore plus troublant et que nous pourrions bientôt voir beaucoup de chaos dans notre pays.

D’une part, ils ne semblent pas du tout s’excuser de ce qui se passe, ni prendre de mesures pour l’empêcher, d’autre part ils se félicitent régulièrement pour cela, même si très peu d’entre eux sont encore en état de faire le voyage… Et encore, pour l’instant on a de la chance, car le jour où ils trouveront les moyens de faire le voyage en nombre suffisant et de survivre, ils seront sans doute partout dans notre pauvre patrie, en train de prendre nos précieuses ressources. Oui, ce n’est encore qu’une possibilité lointaine pour l’instant, mais ils progressent rapidement.

Et il y a autre chose, je ne sais pas si t’as vu : leur industrie cinématographique semble glorifier cela et l’encourager, allant même jusqu’à promouvoir l’installation à long terme dans notre patrie et à exporter même leur mode de vie ici. S’ils sont un peu comme nous, c’est le genre de chose qui est susceptible d’encourager les efforts de migration de masse pour s’installer chez nous. Mais ce n’est pas le pire. T’as vu leur mode de vie ? Ils vivent dans un cycle constant d’autodestruction, de crime, de duplicité, de colère et de suspicion. Il faut absolument éviter qu’ils exportent ça ici. Je sais, tu me diras qu’on a cela aussi chez nous, et t’auras raison. Mais là, c’est différent. S’ils viennent chez nous, ils vont apporter leur propre type de crime et de problèmes. Et je suis sûr qu’ils sont pires que nous.

En fait, imagine un peu : et s’ils envoyaient délibérément leurs pires specimens ? Ce serait dommage, même si c’est un peu logique, un peu comme ce qu’on a fait avec nos avant-postes dans la ceinture d’astéroïdes, tu te souviens ? On a rassemblé les plus criminels d’entre nous et on les a envoyés là-bas pour les tenir à l’écart, libres de s’entretuer s’ils le veulent. T’imagines ? On vit nos vies, peinards, et soudain surgit une bande de réfugiés criminels. Au moins, on a eu la décence de choisir un endroit inhabité pour y envoyer notre racaille. Je sais, certains d’entre eux sont tombés malades à l’arrivée, mais nous ne sommes pas sûrs qu’ils n’ont pas attrapé ça avant de quitter la planète !

Mais tu sais, j’ai entendu pire encore : il y a des rumeurs selon lesquelles certains d’entre eux veulent complètement transformer notre patrie pour qu’elle leur convienne et leur permette de vivre plus facilement. Un de leurs récents films montre même l’un d’entre eux en train de faire pousser une sorte de drôle de nourriture comme ils le font là-bas ! Aucune considération pour l’intégrité de notre environnement naturel ! Et c’est là, je pense, la partie la plus menaçante de tout cela : un objectif de génocide contre nous et notre peuple, avoué, égocentrique et sans excuses. On ne sait pas quel genre de choses désagréables ils pourraient apporter avec eux… J’ai réfléchi à ma décision de venir ici, mais si un jour ils se présentent avec leurs affaires et commencent à nous infecter avec je ne sais quoi, je serai certainement conforté dans ma décision.

Et très franchement, je ne leur fais pas confiance. Je ne suis pas d’accord avec les mouvements à la maison qui souhaitent les accueillir et les intégrer. Je pense que c’est beaucoup plus dangereux qu’ils ne peuvent l’imaginer, et qu’on risquerait sérieusement l’annihilation et l’extinction en les laissant venir trop librement. Il ne resterait de nous qu’un tas de cadavres dans le froid. Je sais que certains, même parmi nous, pensent qu’une frappe préventive sur leur planète est nécessaire pour nous protéger. Je n’en suis pas encore tout à fait convaincu. Après tout, ils ne nous ont encore rien fait de grave.

Ma philosophie est de vivre et de laisser vivre, mais de les tenir autant que possible à distance. Et même si je leur fais peu confiance, je me sentirais affreusement coupable si on décidait de les attaquer sans raison. Je sais, ce n’est peut-être pas sans raison, étant donné les tendances. Et malheureusement je suis presque sûr que les raisons de ne pas le faire s’amenuisent vite, étant donné leur niveau d’activité à la frontière. Je crois qu’on a eu raison, il y a tant d’années, d’adopter cette mesure de se cacher sous terre dans les grottes des glace polaires.

Tu te rappelles quand leur premier véhicule a traversé notre ciel ? Il y avait un rectangle rouge avec un étrange dessin jaune, et à côté, un dessin ressemblant à trois arcs de cercle et un dernier attaché à un bâton… Puis ils ont commencé à nous bombarder avec d’autres machines, et sont même venus eux-mêmes avec certaines d’entre elles ! TU te souviens de ces petites bêtes avec six roues qui se précipitent et fourrent leurs nez partout… Et plus récemment, un de ces satanés bidules a commencé à creuser le sol ! T’arrives à y croire, toi ? Ils creusent maintenant ! C’est comme s’ils savaient où nous sommes et essayaient de nous débusquer ! Je sais, ce n’est pas une preuve suffisante d’une réelle intention génocidaire. On doit encore attendre de voir ce qu’ils vont faire avant d’en être sûrs. J’espère juste qu’il ne sera pas trop tard…

Je me demande si nos dirigeants finiront un jour par se rendre compte du danger et accepter que nous devons changer notre façon d’aborder ce problème. Personnellement, je pense qu’on devrait leur envoyer un message d’avertissement clair et net, et veiller à ce qu’ils restent à l’écart. Mais j’avoue que c’est risqué… Il semble qu’ils aient développé des armes extrêmement dangereuses… Tu te souviens des premiers pics de radiation qu’on a détectés il n’y a pas quarante ans de leur côté de la frontière ? Il y en a eu beaucoup d’autres depuis. Bon, je sais qu’il y a des choses naturelles qui peuvent provoquer de tels pics, mais soyons réalistes. Rien pendant des éons, puis une soudaine augmentation de milliers de ces pics en l’espace de quelques décennies seulement ? Ce n’est pas naturel, et pas une simple coincidence. Ce sont eux, ils ont trouvé une sorte d’arme à rayonnements et ont commencé à l’utiliser. Et s’ils en ont assez pour s’en servir localement les uns contre les autres, ils peuvent certainement les envoyer jusqu’ici… C’est un énorme dilemme… Je ne pense pas qu’on ait ce qu’il faut pour contrer ce genre d’armes si jamais ils les utilisent contre nous. Je pense que pour l’instant on devrait peut-être rester cachés, et essayer de développer une sorte de défense. On devra être prêts, lorsqu’un contact s’établira, à faire face à tout ce qu’ils nous enverront.

Enfin bon, ce sujet me déprime énormément. Si je continue à ruminer tout cela, je ne rentrerai certainement jamais vivant. Changeons de sujet. La vie ici est dure, mais fascinante. On a fait un tas d’expériences et on a été témoins de choses vraiment épatantes ! Au cours de cette dernière année, on s’est installés de manière raisonnablement décente et stable en utilisant le méthane de l’air et des lacs pour alimenter notre base en énergie. Ah, et faudrait que tu voies les vues, sérieux ! La planète est très visible dans le ciel, s’étendant sur une vingtaine de degrés, anneaux compris ! On ne voit pas toujours les anneaux parce qu’on a une vue de côté, mais dans les bonnes conditions, ils apparaissent comme une ligne blanche traversant la planète !

Une fois, on a assisté à une éclipse solaire ici. Ça, c’était plutôt marrant. Imagine d’abord l’ombre de l’anneau. C’est assez rapide, et ça n’efface pas complètement le soleil, mais c’est vraiment perceptible. Et quand la planète elle-même entre en jeu, c’est assez impressionnant. Tout ce qu’on peut voir de la planète à ce stade, ce sont deux demi-cercles presque jointifs, là où la lumière du soleil se réfracte à travers le bord de l’atmosphère, avec deux minuscules trous aux extrémités, là où elle est bloquée par les anneaux. Aussi belles que soient ces éclipses, elles durent cependant trois heures complètes, pendant lesquelles les températures chutent en quelques minutes à des niveaux dignes des nuits les plus froides. Mais bon sang, ça vaut la peine de devoir enfiler la combinaison spatiale et de rester là à regarder…

Mais au-delà de la température et de la solitude, cet endroit est vraiment prometteur ! Imagine toute l’énergie qu’on pourrait récolter ici ! De plus, ce serait une bonne escale pour une exploration plus lointaine. On pourrait sans doute installer des équipements pour créer du carburant et d’autres fournitures importantes pour les vaisseaux de passage. On n’a pas non plus à s’inquiéter des impacts d’astéroïdes, car Jupiter et Saturne sont si proches et les détournent tous directement sur eux de toute façon.

Et tu sais ce qu’il y a de plus amusant ici ? Avec un peu d’improvisation, on peut modifier nos combinaisons spatiales pour nous permettre de voler ! Oui, oui, t’as bien lu ça, j’ai bien écrit voler, juste en battant des bras dans l’atmosphère dense ! T’arrives à y croire ? Avec l’atmosphère presque inexistante sur Mars, ce serait complètement impossible, mais ici, il suffit d’avoir le bon type d’aile et on s’envole dans les airs !

La première fois que j’ai volé ici, c’était incroyable ! Certes, il a fallu apprendre un peu, mais on a assez vite réussi. Avec un de mes collègues, qui avait entendu dire que c’était possible, on a décidé d’improviser quelque chose pour nous permettre de le faire. Bien sûr, cela impliquait de coller des choses à nos combinaisons spatiales, et quand le commandant a découvert ça il a pété un câble, il a confisqué notre création et nous a punis. Avec le recul, je ne peux pas lui en vouloir. Après tout, on utilisait le matériel de la mission à des fins autres que l’accomplissement de la mission, et si on a besoin de ce matériel plus tard, en cas de réelle urgence, il sera plus difficile à utiliser. Mais en tout cas, on a profité de quelques heures de vol avant qu’il ne nous repère.

On n’a encore trouvé aucune forme de vie locale. Les lacs de méthane sont profonds et opaques, donc on ne peut pas voir au travers. C’est dommage, ça aurait été intéressant de les étudier, même si bien sûr, on ne sait pas encore s’ils seraient hostiles. Si on en trouve et qu’ils le sont, le commandant a été formel : pas de pitié. Nous devrons les tuer à vue à la première menace, quoi qu’il arrive. On ne peut pas prendre de risques pour la survie de la colonie à cause d’eux, surtout si on a l’intention d’agrandir la colonie et d’y faire venir plus de monde. Il n’y a pas eu beaucoup d’opposition, à peu près tout le monde était d’accord quand il a fait cette déclaration. Trois des douze d’entre nous ont dit que ce n’était pas juste, et d’une manière ou d’une autre, ils ont réussi à lancer et à soutenir presque à eux seuls un débat sur la question qui a duré des heures. Et quel entêtement ! Ils ont même réussi, à un moment donné, à me faire culpabiliser un peu. C’est-à-dire qu’au fond, je sais qu’ils ont raison, bien sûr. Ce serait incroyablement cruel de notre part de faire cela. Mais je suis d’accord avec le commandant, on ne peut pas risquer la sécurité de cette mission ou des prochaines.

On essaie toujours de trouver des traces d’un catalyseur ou d’un réactif qui nous permettrait de convertir le méthane en quelque chose de respirable… Il n’y a que du carbone et de l’hydrogène ici. C’est un problème sur lequel on travaille toujours, et qu’il faudra absolument résoudre si on veut marsifier cette lune afin d’y vivre et respirer normalement, et peut-être même d’en réchauffer le climat. Les trois qui ont résisté lorsque le commandant a exposé son plan de tuer toute vie si elle s’avère hostile se sont également plaints de l’idée de marsifier Titan, disant qu’on devrait plutôt garder cette lune comme un parc naturel ou quelque chose dans le genre, et respecter l’environnement local. Bande de rêveurs naïfs ! Parfois je me demande pourquoi ils sont venus sur cette mission. Peut-être qu’ils voulaient juste se vanter, ou collectionner des spécimens pour les ramener chez eux, ou peut-être qu’ils ont d’autres raisons.

Non, en effet, la vie ici n’est certainement pas aussi géniale que ce qui était promis dans les publicités… Tu te souviens de ces affiches ? J’imagine que oui, je suis d’ailleurs certain qu’elles sont encore partout. Il fait vraiment froid ici. Mais quand je dis froid, t’as pas idée à quel point on se les gèle. On nous dit, chez nous, qu’il fait si froid que le méthane est un liquide ici, mais cela ne rend pas justice à la réalité. On ne peut pas imaginer comment c’est avant d’arriver ici. En fait, il fait si froid que le dioxyde de carbone, la matière dont est fait notre propre air sur Mars, se condense sous forme de pluie ! On nous a formés pour cela et on nous a bien sûr appris à toujours porter la combinaison spatiale ici, mais il est impossible de appréhender la réalité exacte quand on est encore si confortablement habitués à chez nous.

Et bien sûr, je ne pense pas avoir besoin de mentionner qu’on n’a pas de bars à cocktails ni de logements de luxe ici. Ne te méprends pas, notre nourriture est à moitié décente, du moins par rapport au gruau qu’on me refilait lorsque je menais des missions de sauvetage autour de Phobos. Et les logements sont suffisants, même s’il n’y a vraiment pas beaucoup de place. Les dortoirs sont minuscules, et pire encore, on est deux par chambre. On n’a pratiquement aucune intimité étant donné l’exiguïté de la pièce. Notre espace de vie commun est limité à une vingtaine de mètres carrés, dont la moitié est consacrée au travail proprement dit. Oui, on communique avec Mars et et on s’amuse un peu, et chacun d’entre nous a apporté quelque chose pour s’occuper dans ses bagages.

Mais on n’a même pas souvent l’occasion d’utiliser ça, étant donné la quantité de travail qu’on a. C’est franchement vraiment intense. Par exemple, ces derniers jours, on a dû sortir de l’habitat tous les jours et prélever des échantillons pendant des heures. On creuse dans la glace, on recueille du méthane dans le lac voisin, on marque et emballe les échantillons avant de les ramener à l’intérieur pour les analyses. La semaine dernière, on a observé les conditions météorologiques du coin pendant des heures. L’autre jour, on a installé des capteurs et des équipements de nuit pour mesurer les interactions entre le champ magnétique de la planète et de Titan et leurs effets sur l’atmosphère de la lune. On a protesté contre le fait de devoir sortir dans le froid glacial, en demandant pourquoi on ne pouvait pas attendre une demi-orbite et faire ça de jour, mais les patrons ont dit qu’on devait mesurer ça du côté de la planète où il fait jour, ce qui nous obligeait à sortir la nuit.

Mais au moins, on avance dans notre mission, et ça se passe bien. Enfin… QUAND ça se passe bien. L’autre jour, une tempête a frappé, juste au moment où on était à l’extérieur en train de forer des carottes de glace. Un des gars a failli être emporté par le vent. Heureusement, j’avais ma perceuse enfoncée assez profondément dans la glace, alors je m’y suis accroché et j’ai attrapé mon collègue pour ne pas qu’il s’envole. On ne pouvait rien faire d’autre que de rester là. Une fois le vent un peu calmé, on a improvisé un système de saute-mouton. On a percé une série de trous pour s’approcher de l’habitat, et à chaque fois on s’accrochait à la perceuse. On a tordu les deux forets en faisant cela. Heureusement, on a quatre perceuses en tout, et quelques forets de rechange.

Enfin bon, de quoi je me plains ? Je savais que ce ne serait pas tout à fait à la hauteur de ce qui avait été promis. On a tout le confort de base, mais guère plus. Je suis sûr que les patrons ont conçu la colonie de cette façon afin de nous convaincre qu’on devra à terme marsifier Titan. Et le sujet revient souvent sur le tapis, en fait. Je sais que certaines personnes au pays ne sont pas très favorables à cette idée, mais on dirait que globalement tout le monde pense que c’est inévitable. Oui, ce serait bien d’avoir une base habitable ici, mais cela demandera beaucoup de travail, et tout ce qu’on fait ici est censé aider à découvrir comment le faire. Mais on est tous assez confiants, même les rêveurs naïfs, du fait qu’on va y arriver un jour. L’une des principales raisons pour lesquelles ils sont d’accord est combien la science et notre race en bénéficieront, bien sûr. Après tout, ce n’est pas pour rien qu’ils ont sélectionné les plus patriotes d’entre nous pour cette mission. Mais je dois avouer, et je crois que tous mes collègues sont d’accord, que c’est aussi parce que renoncer à un tel projet, renoncer à créer un autre monde vivable pour notre espèce, signifierait que tous nos efforts ici n’auraient servi à rien. Et je crois sincèrement qu’aucun d’entre nous ne pourrait l’accepter si cela devait arriver.

Ah, j’allais oublier : en parlant de vie, on a eu un choc l’autre jour : une patrouille est revenue à la base et annoncé qu’elle avait trouvé une créature à la surface. Une seule. Elle ne ressemblait en rien à ce que nos scientifiques imaginent pour les extraterrestres titaniens. En fait, d’après les photos qu’ils ont prises, elle ressemble beaucoup à certaines des bêtes qui ont atterri chez nous. Il n’a pas un rectangle rouge et jaune ou bleu avec des marques blanches et des bandes rouges, comme la plupart de ceux qui sont rentrés chez eux, mais un rectangle bleu avec des marques jaunes. Tu crois que ces terriens sont aussi arrivés jusqu’ici ? Ce serait vraiment dommage qu’on ait réussi à se protéger d’eux pendant si longtemps chez nous pour finalement les croiser ici et devoir rivaliser avec eux pour cette lune. Je me demande comment les chefs prendraient la nouvelle. J’espère vraiment qu’ils n’abandonneront pas Titan au profit d’Europe ou Encelade, car cela serait aussi une insulte envers tous nos efforts et nos sacrifices ici de leur retirer tout sens et toute utilité.

En tout cas, le commandant de la colonie a donné l’ordre de ne pas s’en mêler et de s’en cacher à tout prix, et a immédiatement envoyé un message urgent au quartier général. Il a ensuite ordonné une reconnaissance orbitale plus détaillée pour voir s’il n’y a pas d’autres créatures de ce genre à la surface. Jusqu’à présent, on n’en a trouvé aucune, ce qui est un soulagement. Si celle-ci vient de nos voisins, peut-être s’est-elle perdue, ou bien n’était-ce qu’une première et qu’à terme d’autres la suivront… Je préfère le premier scénario, mais étant donné la taille de l’espace et les chances infimes que quelque chose se perde et se pose sur une lune, je suis obligé d’être réaliste et d’accepter le scénario moins agréable. Et c’est vraiment dommage.

Quoi qu’il en soit, j’espère que les choses se passent bien pour vous, chez vous, sur Mars. Passe le bonjour aux enfants, à Papa et à Maman. J’espère que tout le monde va bien.

Sincèrement,

Ton frangin ******


Cette lettre est, comme vous l’avez sans doute compris, une parodie visant à souligner et à mettre en évidence d’une part les préoccupations et les inquiétudes qui génèrent des sentiments de xénophobie au sein de nos propres sociétés ici sur Terre, mais aussi à quel point on peut être enclins à établir un système de deux poids, deux mesures quand ça nous arrange. L’objectif ici est de donner un peu de recul sur nos propres actions en prenant un exemple hypothétique extérieur, car nous, les humains, ne sommes généralement pas doués pour regarder nos propres actes d’un œil critique.

A bon entendeur…

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